Episode 9 - "Celle qui se dégoûtait"
Du gras... Je ne suis plus qu'un immonde tas de gras aussi laide à l'extérieur qu'à l'intérieur. Je me dégoûte, je me déteste et je déteste ma vie...
Moi qui passais des heures à faire les boutiques, à me pomponner, ne pouvant sortir de chez moi sans être apprêtée et maquillée, désormais, c'est à peine si je passe 10 min dans la salle de bain. Je ne me maquille plus et je ne porte plus aucun soin au choix de ma tenue vu que je m'habille tous les jours de la même façon : avec les mêmes vieux vêtements, les seuls dans lesquels j'arrive péniblement à me glisser, les derniers vestiges de mon ancienne taille 42 et de mes 76 kilos.
Je n'arrive pas à réaliser comment j'ai pu à nouveau me laisser enfermer dans la spirale infernale de la boulimie, lorsque je pense à toutes les privations et à tous les efforts que j'ai dû fournir pour parvenir à obtenir la silhouette délicate et légèrement osseuse dans laquelle je me sentais si bien (c'est-à-dire sans aucun sentiment de honte de soi ou de quelconque complexe relatif à mon poids mais avec un profond sentiment de vide que je comblais par une vie sociale très remplie). Ce fragile équilibre à tenu bon an mal an environ 2 années (les plus intenses de toute ma vie) puis le château de cartes s'est effondré, balayé par le stress et la pression du travail qui m'isolait de plus en plus de mes amis. Je compensais alors ce vide et cette solitude par une source de plaisir immédiat : la nourriture. Le cercle vicieux était lancé : plus je mange, plus j'ai envie de manger et plus je prends du poids. Plus je prends du poids, plus l'estime de soi diminue et moins je prends soin de moi. Moins je prends soin de moi, moins j'ai envie d'être vue et plus je m'isole... Plus je l''isole et plus je mange pour compenser. Etc...
Ma mère vient de le comprendre douloureusement. Contrairement à ce que je lui avais annoncé, je n'ai pas passé le réveillon de Noël avec elle. Cela l'a profondément peinée et déçue d'autant plus qu'elle se remet à peine du deuil de son père. Je m'en veux atrocement d'avoir été si égoïste mais je ne suis pas certaine qu'elle aurait apprécié que son réveillon se trouve entaché d'une énième dispute et de propos malheureux que j'aurais probablement tenu. Le dégoût et la haine de soi que je ressens sont si profonds qu'ils se traduisent par une agressivité aveugle et incontrôlée.
Je suis néanmoins partie rendre visite quelques jours à ma grand-mère et mon oncle que je n'avais pas vu depuis Noël dernier, bien qu'appréhendant leurs réactions face à cette Mathilde lestée de 20 kilos supplémentaires. Ils m'ont simplement dit que j'avais bonne mine avec ces quelques kilos en plus que l'on ne remarquait pas vraiment.
Mais ce soir ma mère m'avoue qu'en réalité ils ont trouvé que j'avais pris énormément d'enbonpoint. Elle me demande alors si la cause de mon absence n'était pas liée à cette fulgurante et incontrôlable prise de poids. Je nie évidemment l'absurdité de cette raison et coupe court à la conversation. Démasquée, je m'esquive pour me réfugier dans les larmes de mon désarroi et dans le havre de ma solitude.